LA MÉDIATION POUR PHILOSOPHIE
L’esprit de la médiation l’animait de longue date. Fabienne Boquet a insufflé cette pratique il y a une dizaine d’années au sein de Crédit Agricole Payment Services. Rencontre avec cette médiatrice interne au parcours atypique.
Comment vous êtes-vous formée à la médiation ?
J’ai eu un parcours assez atypique, iconoclaste. Quand je suis arrivée sein du Crédit Agricole, il y a 25 ans, j’ai rapidement été représentante du personnel. Je n’étais pas formée spécifiquement à la médiation. Ma méthode était empirique et consistait à accueillir la personne, l’écouter sans juger, puis tenter de comprendre sa situation par le questionnement. C’est ainsi que j’ai commencé à aborder la médiation. En somme, tout cela est venu d’un élan personnel.
Je crois que ma formation en philosophie m’a ouvert une porte et m’a amenée à appréhender la vie sous un certain angle, avec une forme de sagesse, avec recul. Je n’étais pas formée à la médiation, mais l’esprit de la médiation me plaisait énormément. Toutefois, à l’époque, on ne parlait pas de médiation interne. J’ai commencé à me former à la médiation des années plus tard. En suivant d’abord des formations courtes à la gestion des conflits. Cela a été une révélation ! J’ai alors ressenti le besoin d’approfondir mes connaissances et de me professionnaliser. J’ai d’abord obtenu une certification RNCP de médiateur des organisations, puis un Diplôme universitaire que j’ai complété plus tard par un cursus sur l’approche systémique coopérative de François Balta. Les formations que j’ai suivies avec le psychologue et psychosociologue Roland Guichard ont été très enrichissantes, notamment sur la question de l’identité professionnelle et son lien avec les risques psychosociaux. En tant que tiers externe, facilitateur ou médiateur, j’ai noté que les conflits touchent en effet souvent à l’identité professionnelle des personnes. C’est en comprenant ces aspects que l’on peut travailler à la construction de solutions durables.
Comment avez-vous amené la médiation au sein de votre organisation ?
J’ai cheminé au fil de mes lectures. J’ai trouvé intéressant de confronter les points de vue sur la médiation, par des approches différentes. Ces lectures ont nourri ma pratique. J’ai ensuite construit une formation à la médiation qui s’appuie sur de nombreux visuels que j’ai présentée à la DRH. Elle a été très appréciée. A partir de là, des sensibilisations à la médiation ont été proposées aux managers. Dans les premiers temps, j’ai été médiatrice sans être officiellement désignée comme telle en interne. La directrice des ressources humaines a fait appel à moi, me présentant comme Fabienne, une personne formée à la médiation et connue au sein de l’entreprise. J’ai été choisie pour mener la médiation en raison de mes compétences, bien que mon rôle n’était pas officiellement reconnu dans l’organigramme. C’était une expérience assez singulière de pouvoir changer de casquette sans être étiquetée comme représentante du personnel.
Ce que j’ai réalisé avec le temps, c’est que ma posture repose sur ce que j’ai construit : une posture de neutralité et d’ouverture. Avec tous les acteurs internes, quel que soit leur niveau hiérarchique, mon discours reste le même. Je ne cherche pas à grimper dans la hiérarchie, mais à m’adresser à tous de la même manière. Cette approche n’est pas toujours comprise par d’autres représentants élus, enfermés dans des schémas opposant les salariés à la Direction. Être reconnu comme médiatrice interne m’a permis de gérer des situations complexes et de sortir du cadre habituel. C’est là que l’approche systémique a été aidante, en me permettant d’adapter mes interventions en fonction des situations rencontrées. En tant que médiatrice, je peux m’impliquer ouvertement, tout en préservant ma neutralité. Cette confiance gagnée auprès de la DRH m’a permis d’agir en tant que facilitatrice, jouant un rôle essentiel dans la résolution des conflits au sein de l’entreprise. Cette flexibilité m’a permis d’aborder chaque situation avec un regard neuf, en sortant du cadre établi.
Comment le dispositif de médiation interne s’est-il construit ?
En 2019, le Groupe Crédit Agricole a lancé le Projet Humain, dans le cadre du Plan à Moyen Terme. Ce projet mettait l’accent sur trois concepts qui représentent l’essence même de la médiation : la responsabilité par une démarche valorisant le respect de l’autre ou chacun est responsable de ses actes, la confiance par la neutralité et la confidentialité des échanges, l’initiative par la proactivité des personnes dans la recherche de solutions.
Ce projet a été l’opportunité de faire entrer officiellement la médiation dans l’entreprise. L’approche a été participative : des acteurs internes ont été sollicités pour proposer leurs idées. Il s’est agi de développer une culture du dialogue et de la prévention des conflits. Le contenu du dispositif a été construit de manière à inclure à la fois des mesures curatives et préventives mais aussi éducatives par de la pédagogie pour la faire connaître. Aujourd’hui, le dispositif s’articule autour de trois niveaux de prévention, alignés sur la prévention des risques psychosociaux : primaire (préventif), secondaire et tertiaire (curatif). Et la médiation est explicitement intégrée à l’accord de prévention des risques psychosociaux.
Selon vous, quels sont les avantages et les limites de la médiation interne ?
Les avantages de la médiation interne et externe sont nombreux. Être situé dans les locaux facilite l’accès au processus, et permet de sensibiliser les personnes à la médiation. Cela contribue à dédramatiser la notion de conflit et encourage les personnes à considérer la médiation comme un outil utile, à disposition lorsque la communication directe est difficile. Toutefois, la médiation suscite toujours des appréhensions. Les croyances négatives persistent, car la médiation est associée aux conflits, qui sont bien souvent encore tabous dans les organisations. Au niveau de mon positionnement, il est aussi essentiel, en interne, d’être attachée à la pratique pure de la médiation. Ma boussole : permettre aux parties de trouver par elles-mêmes des solutions qui leur conviennent.
En tant que médiatrice interne, le défi est de ne jamais arbitrer, mais de faciliter le dialogue pour explorer ensemble des solutions. En interne à fortiori, il est essentiel de garder le cap et de maintenir ces principes déontologiques. Si je me sens inconfortable ou déstabilisée vis-à-vis d’une situation, je me réfère systématiquement à la déontologie du métier et je me questionne : dans cette situation, suis-je bien neutre, impartiale et indépendante ? Si je ne me sens plus en mesure de respecter ces principes, alors, je me dis qu’il est peut-être temps de passer la main à un médiateur externe. En tout cas, il faut avoir une conscience claire et faire preuve d’honnêteté intellectuelle. Il est important de ne pas se laisser instrumentaliser ni devenir complice de certaines situations. Si l’on n’a pas conscience de ces freins et de ces écueils, la médiation ne peut pas être crédible et pleinement reconnue comme un outil au service de la prévention des risques psychosociaux. Derrière les risques psychosociaux, il y a de la souffrance, et la médiation peut jouer un rôle essentiel dans la prise en compte de ces situations et des effets qu’elles ont sur les personnes.
Rencontrez-vous parfois des situations délicates ?
En parallèle à mon rôle de médiatrice, je suis aussi référente harcèlement. Je suis alors amenée à être à l’écoute des personnes autant le plaignant que l’harceleur présumé. La pratique de la médiation est une aide précieuse dans ces situations où chacun a besoin d’être accueilli, écouté et compris.
L’autre situation délicate que l’on peut être amené à rencontrer, est lorsqu’on entre trop rapidement en médiation. Pour ma part, j’attache une grande importance à la phase de pré-médiation. Je considère cette phase comme une sorte de sas, une porte d’entrée vers la salle d’opération de la médiation. La médiation est volontaire, les personnes doivent explicitement consentir à la médiation. Avant même d’engager le processus de médiation, il est essentiel d’échanger sur les tenants et les aboutissants de la médiation, de présenter la déontologie et le déroulement du processus. Il est essentiel que les personnes puissent consentir de manière éclairée. Je réunis les personnes concernées et leur présente les principes de la médiation de façon claire et transparente. La médiation commence réellement une fois que les deux personnes ont donné leur accord. Tant que cela n’est pas acté, nous n’abordons pas le sujet qui fait difficulté. En interne à fortiori, il n’est pas souhaitable de rentrer dans le processus de médiation avant que les personnes aient donné leur consentement. Cela garantit un processus équitable et respectueux des principes déontologiques.
Comment voyez-vous l’évolution de votre fonction ?
En ce qui concerne l’évolution de ce rôle, mon souhait est de continuer à promouvoir la médiation au sein du Groupe Crédit Agricole et permettre d’élargir son appropriation. Le positionnement d’une fonction a une importance symbolique ; le rattachement hiérarchique doit donc être soigneusement réfléchi pour renforcer la légitimité de la médiation. Chez CAPS, la médiation est rattachée au Secrétariat Général et non à la DRH ce qui évite la confusion.