Corinne Pinard

DU COACHING À LA MÉDIATION

Corinne Pinard a rejoint en 2021 la Direction de la médiation de la vie au travail du groupe La Poste, après une solide expérience du management et une spécialisation dans l’accompagnement et le coaching. Une polyvalence prisée pour aborder les situations difficiles au travail. Rencontre avec une médiatrice multi-compétences.

Comment est organisée la médiation interne au sein du groupe La Poste ?

Depuis 2012, le groupe La Poste a mis en place un dispositif de médiation interne composé de 5 médiateurs nationaux à temps plein, assistés d’une petite communauté de médiateurs postiers qui intervient en appui, en médiation curative et préventive. Notre champ d’intervention est vaste : le groupe compte en effet près de 330 000 agents, en incluant les filiales. Nos interventions sont nombreuses : en 2020, la Direction de la médiation de vie au travail a traité 300 saisines qui ont concerné près de 2 000 personnes. 87 % de ces situations se sont conclues par un accord et 95% des personnes engagées dans la démarche se sont déclarées satisfaites.    

Comment êtes-vous venue à la médiation ?

Je suis entrée dans le groupe La Poste il y a 30 ans. J’ai toujours occupé des postes de management. Avec parfois des projets de transformation importants. Après plus de 25 ans de management, j’ai éprouvé le besoin de me poser et de me questionner sur la suite de ma carrière. Un bilan de compétences a fait ressortir mes motivations profondes : j’ai compris que mon fil conducteur avait toujours été d’emmener les personnes d’un point A vers un point B, de les faire progresser, de trouver ensemble des solutions, d’avancer. C’est ainsi que j’ai quitté le management pour me consacrer en interne à l’accompagnement individuel des cadres dirigeants. Le groupe m’a offert la possibilité de me former au coaching pour professionnaliser davantage les accompagnements que je menais. Je suis ensuite repartie sur un poste de manager pour mettre sur pied un service dédié au recrutement et à l’accompagnement. Jusqu’à ce que j’aie connaissance d’un poste de médiateur à pourvoir en interne. Je me suis dit : je tente ! Mon profil de coach et mon expérience de l’accompagnement et managériale ont plu. Après une formation diplômante en médiation, complétée par une labellisation décernée par un organisme reconnu dans le domaine de la médiation, j’ai ainsi intégré en 2021 la Direction de la médiation de la vie au travail.

En quoi votre profil de coach est-il un plus ?

Tout d’abord on retrouve une grande proximité dans la posture de coach et celle de médiateur pour ce qui est de l’écoute des personnes et de la neutralité à conserver. De plus, dans certaines situations, je peux utiliser des techniques de coaching. C’est le cas par exemple lorsque j’accompagne un manager en entretien individuel, pour l’aider à prendre du recul face à une situation problématique de conflit ou de tension, tout en utilisant les clés de lecture de la médiation. Je constate que cela permet d’amener la personne souvent plus loin dans la compréhension de ce qui se passe pour elle et pour l’autre. Par ailleurs, quand un accord de médiation est conclu entre des médiés, il peut y avoir un prolongement sous la forme d’un accompagnement où là aussi mes connaissances de coach sont utiles. 

« Du fait de mon profil à double compétences, je me positionne comme médiatrice-accompagnatrice »

Parfois encore, un accompagnement individuel peut être plus approprié qu’une médiation, en ce sens qu’il répond plus spécifiquement à un besoin d’expression d’une personne ou au fait que l’autre personne, partie au conflit, ne souhaite pas la médiation. Cela permet de faire avancer a minima l’une des personnes sur la « situation problème » et ainsi agir dans une logique d’apaisement. Du fait de mon profil à double compétences, je me positionne comme médiatrice-accompagnatrice !

Comment les agents peuvent-ils saisir les médiateurs internes ?

Nous pouvons être saisis directement par les agents, via la « boîte fonctionnelle médiation », soit par un tiers qui peut être un manager, un RH, ou d’autres acteurs comme les représentants du personnel, le médecin du travail ou les assistantes sociales. Notre premier réflexe est de proposer à la personne qui nous sollicite ou les agents concernés un entretien afin de cerner la demande, présenter la médiation et s’assurer que c’est bien l’outil approprié. Il s’agit là d’une première étape qui ne présage en rien de la suite. En effet, rien n’oblige les intéressés à s’engager dans une médiation formelle. L’idée est qu’ils se sentent le plus libre possible. On leur offre un espace d’écoute, un temps d’échange qui aide à cheminer. On peut aussi jouer le rôle de facilitateur, entre un collaborateur et son manager par exemple. Si les personnes se sentent en mesure d’aller plus loin et que les conditions d’une médiation sont réunies, je prends contact avec les protagonistes par mail pour envisager « un temps collectif » d’échanges. Et je pose le cadre afin de permettre à chacun de décider de son engagement dans le processus. Je joins une convention de médiation qui scelle cet engagement et notamment l’engagement de confidentialité tout au long de la démarche. Même en interne, cet écrit est indispensable.

Développez-vous une approche préventive de la médiation ?

J’interviens actuellement aux trois niveaux de la prévention, le versant curatif correspondant à environ 70% de mes missions. Au sein de la Direction de la médiation de la vie au travail, nous développons de plus en plus l’approche préventive qui contribue à limiter l’escalade des conflits et les situations de mal-être qui en résultent.  Cela passe en particulier par des actions de sensibilisation aux conflits et à l’écoute active ainsi que certains accompagnements individuels que l’on évoquait plus haut. Ces modules de sensibilisation d’une journée permettent d’aborder différents aspects tels que les éléments générateurs et amplificateurs de conflits, les réactions possibles face aux situations conflictuelles, les stratégies pour éviter ou sortir d’un différend, la communication non violente… Après une médiation, nous pouvons aussi être amenés à intervenir auprès des équipes pour suggérer d’autres manières de faire, moins génératrices de tensions. Au sein de l’équipe, nous avons à cœur de développer cette approche préventive, afin d’intervenir le plus tôt possible, avant que les conflits ne soient enkystés. C’est pourquoi, nous commençons aussi à nous positionner sur de la médiation de projet qui peut être utile lors de projets importants pouvant impacter les relations de travail. Nous avons toutefois comme point de vigilance de ne pas déresponsabiliser les managers. Au premier stade d’un différend, je pense en effet qu’il est de leur responsabilité de tenter de démêler la situation, sans recourir d’emblée à la médiation d’où l’intérêt de les doter de clés de lecture et d’outils via nos sensibilisations par exemple.

Le médiateur a une obligation de moyens, pas une obligation de résultat. En interne, est-ce toujours facile ?

Vis-à-vis de mon commanditaire comme des médiés, je ne ressens pas de pression par rapport à cela. Même en interne, le médiateur n’a pas d’obligation de résultat. Ce principe est posé dans notre code de déontologie et je ne manque pas de le rappeler lors de mes présentations sur la médiation. Dans ma pratique, je fais également en sorte de prouver au commanditaire – RH ou managers en général- que je mets tout en œuvre pour que la mission se passe bien. Par exemple, je l’informe sur le déroulement du process, sur les dates prévues des entretiens, sur le nombre d’heures d’entretiens réalisées. Sans jamais rien divulguer du contenu des échanges, bien évidemment. Je lui assure de le reprendre contact avec lui dès la la fin de ma mission. En tenant ainsi informé mon commanditaire, cela permet de le rassurer. Le fait de l’associer à l’organisation de la médiation – comme choisir un espace neutre qui garantisse la confidentialité par exemple – est aussi un moyen de le rendre acteur. Nous sommes ainsi tous liés par une obligation de moyens.

En médiation, l’étape de brainstorming est déterminante pour trouver des solutions. Comment procédez-vous en interne ?

Dans ma pratique, j’accorde beaucoup d’importance à la mise en œuvre opérationnelle. J’essaie toujours d’amener les protagonistes vers l’élaboration de solutions très concrètes. Par exemple, si leur souhait est de mieux communiquer, je les invite à en expliciter les modalités. Par exemple, convenir d’un déjeuner d’équipe une fois par mois, prévoir une réunion au fil de l’eau chaque semaine, prendre un café le vendredi matin… J’écris au paperboard mot à mot ce qu’ils expriment et je m‘assure que chacun est bien d’accord  avec cela. Les solutions convenues sont consignées dans un document, signé par les médiés, qui leur appartient. En séance, ils peuvent se mettre d’accord sur ce qu’ils veulent « dé-confidentialiser » – certaines propositions pouvant nécessiter l’aval du commanditaire – et comment ils souhaitent restituer leur plan d’action. Si les médiés le souhaitent, je leur propose de les accompagner dans le temps. Deux à trois mois plus tard, je les contacte par mail pour faire un point de suivi et si besoin consolider. C’est important qu’ils sachent que je reste toujours à leur écoute.

Quels sont, selon vous, les freins à la médiation interne ?

Le premier ennemi de la médiation interne, c’est le médiateur lui-même, pas forcément l’organisation. Comme le médecin du travail, l’assistante sociale ou le coach interne, le médiateur interne est un salarié, au service du collectif. Il convient donc de rester vigilant sur son positionnement. En interne comme en externe, le risque surgit lorsqu’en tant que professionnel de la médiation, on n’est plus aligné par rapport à sa déontologie, à la neutralité, à l’impartialité, à la confidentialité et à l’indépendance. En tant que médiatrice interne, je considère qu’il est de ma responsabilité de respecter à la lettre la déontologie de mon métier. Le fait de tenir informé le commanditaire du déroulement de la médiation, à toutes ses étapes, sans trahir la confidentialité, est ausi un moyen de garder sa ligne de conduite.

Y-a-t-il d’autres freins au développement de la médiation interne ?

Le manque de communication institutionnelle peut clairement être une limite. Présenter la médiation et ses acteurs, expliquer leur rôle et leur périmètre d’action, c’est crucial. Cela permet de dédramatiser la notion de conflit dans une organisation. Mais aussi, de dissiper les éventuelles craintes à l’égard de la médiation. Au sein du groupe La Poste, nous diffusons un bilan annuel sur notre activité, dans le respect de la confidentialité. Il s’agit d’un support de communication à part entière qui mérite vraiment d’être diffusé car il donne du corps à la médiation et contribue à faire connaître en interne ce dispositif.

Qu’est-ce que vous appréciez le plus dans votre mission ?

C’est tellement satisfaisant de voir les personnes parvenir à se mettre d’accord sur des solutions et repartir apaisées ! Même lorsqu’il n’y pas de solutions concrètes, il peut y avoir une prise de conscience, une façon de voir la situation sous un autre angle, de désamorcer simplement un malentendu, une façon plus respectueuse de se parler… En somme, la médiation fait bouger les choses. J’ai alors le sentiment d’apporter ma contribution à la qualité de vie au travail de chacun et cela, c’est vraiment formidable !

Son parcours, en bref
  • Formation en droit social – relations sociales puis M2 de gestion avec une spécialisation en ressources humaines.
  • 25 ans de management d’équipes variées.
  • Certification de praticien coach.
  • Diplôme universitaire (DU) en médiation.