La facilitation pour mieux travailler ensemble
Forte de son expérience dans les ressources humaines chez RENAULT GROUP, Isabelle Marault occupe depuis 2019 la fonction de facilitatrice interne. L’objectif : aider, dans une stricte neutralité, tout collaborateur en situation difficile au travail, par une écoute bienveillante.
En quoi consiste votre fonction ?
Chez Renault Group, le facilitateur est un acteur clé de la Qualité de Vie au Travail et de la prévention des risques psychosociaux. A ce titre, mon rôle, tout comme celui de mon confrère Eric Benichou, est de prévenir et réguler les situations relationnelles de tensions et de conflits, en respectant les termes de la charte de déontologie du métier, ainsi que ceux de la charte Ethique Renault Group. Concrètement, il s’agit de favoriser l’écoute, de libérer la parole et de mettre en œuvre les outils de la médiation, si cela se justifie.
Je peux être sollicitée directement par le salarié qui souhaite une écoute préventive, au même titre que les autres acteurs qui l’entourent, tel que le manager, les RH, la médecine du travail, les assistantes sociales ou les représentants du personnel. Lorsque la facilitation est la méthode choisie pour résoudre un conflit interpersonnel, j’informe de façon claire sur le dispositif lui-même, m’assure de l’accord des parties à entrer dans le processus proposé, et j’en garantis le déroulement de façon confidentielle.
Si celle-ci est volontairement levée, je rencontre le(s) protagoniste(s) et toute personne pouvant être concernée par l’analyse de la situation et la recherche de solutions. Selon la complexité des situations, je peux aussi être amenée à intervenir en gestion de crise comme pilote d’un groupe pluridisciplinaire afin d’éviter des situations extrêmes. Enfin, j’interagis avec la Direction déléguée aux alertes professionnelles dans une logique de résolution des problèmes à l’amiable. Par exemple si un signalement n’est pas qualifiable en alerte professionnelle au sens de la loi Sapin, la Direction déléguée aux alertes professionnelles demande au lanceur d’alerte de se mettre en contact avec nous pour l’accompagner s’il en est d’accord, soit tout à fait exceptionnellement être amené dans le cadre de mes responsabilités à jouer le rôle de lanceur d’alerte par délégation d’une personne ou d’un collectif si je considère que le traitement de la situation relève de cette instance. En intervenant au plus près du terrain et avec une forte réactivité, il s’agit d’éviter les contentieux dans les situations de ressenti, notamment.
Lorsque des salariés rencontrent des difficultés à coopérer, je les rencontre individuellement, puis je les invite à échanger afin de se mettre d’accord sur un plan d’actions. Ils m’envoient ensuite le fruit de leur réflexion, transmis au commanditaire de la facilitation, point cadré au début de ma prise de contact avec les acteurs, sous forme de convention morale entre nous.
Un autre point me semble essentiel dans une filière automobile en pleine transformation et même « en révolution », c’est que nous sommes deux facilitateurs à temps plein pour assurer cette mission. Cela se traduit par de la réactivité mais aussi de la disponibilité pour être à l’écoute des salariés, C’est ce temps que d’autres acteurs de l’entreprise n’ont pas, n’ont plus ou ne prennent pas le temps d’avoir mais c’est aussi un moment de respiration pour les salariés pour exposer leurs difficultés et être seulement entendus mais surtout écoutés et trouver des solutions ensemble.
Comment est organisé le dispositif interne ?
Mon confrère facilitateur Eric Benichou et moi sommes rattachés à la Direction de l’Ethique et de la compliance. Ce positionnement permet d’assurer en toute indépendance, neutralité, confidentialité et impartialité notre fonction sur tout le territoire national de Renault Group. Le fait d’être deux facilitateurs est aussi important : cela favorise la réflexion et le partage d’expériences. Dans des fonctions où il y a une charge mentale potentielle, le fait de pouvoir échanger en toute confiance avec un pair peut être sécurisant et enrichissant. Pour mieux nous faire connaitre en interne, nous multiplions les canaux : intranet, flyer, semaine de la mobilité, posts internes, organisation de chats pour présenter notre fonction… Tous les supports sont utiles pour parler de la facilitation interne. Et bien sûr, il y a le bouche-à-oreille… On traite environ 200 cas chaque année, la prescription est donc importante.
Votre mission est celle de facilitatrice et non de médiatrice ?
J’ai constaté en effet que le terme de « médiation » peut être bloquant. Quand on l’évoque, on pense parfois « procédure », et cela peut être contre-productif. Un salarié m’a même dit un jour : « si c’est une médiation, je ne participe pas ! ». Le mot « facilitation » renvoie à « facile » et est perçu comme une démarche « aidante ». C’est le terme qui a donc été retenu au sein du groupe.
Quels types de conflits traitez-vous ?
Chaque année, nous traitons en moyenne 200 cas individuel en lien avec des irritants. Parmi ces irritants, 20% environ sont liées à des situations de mal-être. Par exemple, des difficultés liées au sens du travail, aux conflits de valeurs, aux nouveaux modes d’organisation du travail, au télétravail… Mais aussi, tout ce qui porte sur l’aide à la réintégration après un arrêt de travail. Nous traitons aussi ce qui peut être source de tensions, comme le manque de respect ressenti, la discrimination, les allégations de harcèlement, les propos sexistes…
Avec quels acteurs internes êtes-vous amenés à coopérer ?
Nous coopérons avec la fonction RH, en particulier les RH France, pour apporter tout soutien nécessaire et s’assurer de la bonne compréhension du dispositif par les salariés, partager les bonnes pratiques pour améliorer le dispositif, dans le respect des règles de confidentialité.
Nous travaillons aussi en interaction avec les directions opérationnelles pour construire la pertinence des solutions possibles et les faire émerger par le dialogue entre les parties. Nous coopérons parfois avec les instances représentatives du personnel, régulièrement avec la médecine du travail qui est un partenaire clé pour nous, mais aussi avec les managers, les relations sociales, les conditions de travail, les assistantes sociales…
Face à des situations complexes, la réunion d’un groupe pluridisciplinaire est souvent très efficace. Il s’agit d’une méthode puissante basée sur l’intelligence collective que j’utilisais lorsque j’étais RH, pour gérer des situations de crise. J’ai transposé cet outil dans ma pratique de facilitatrice. Les acteurs concernés se réunissent autour de la table – directeur d’établissement, manager, médecin du travail, RH notamment – et chacun est invité à faire état de son analyse et de sa vision de la situation. Ce temps de partage aboutit à prendre le problème en mains de façon efficace et à envisager un plan d’action partagé, avant que la situation ne s’aggrave. Notre rôle du facilitateur interne est donc très large.
Qu’est-ce qui est le plus satisfaisant dans votre fonction ?
C’est très satisfaisant d’aider des personnes qui, par le dialogue et l’intervention d’un tiers aidant, arrivent à échanger et à se mettre d’accord, à construire ensemble un plan d’actions. J’ai conscience que la facilitation est dans ce cas une bulle de décompression, un sas en quelque sorte, qui permet aux collaborateurs de s’écouter, de se poser, de réfléchir ensemble. C’est là que le terme de « facilitateur » prend tout son sens. C’est vraiment satisfaisant de réaliser la puissance de la facilitation, qui parfois, évite d’aller jusqu’à une médiation.
Est-ce que cette absence de formalisme y est pour quelque chose selon vous ?
Probablement. Toujours est-il qu’en essayant de trouver un modus vivendi qui permette à chacun de sortir d’une situation tendue, cela donne vraiment de bons résultats. Je constate souvent qu’il n’y a pas de problème de compétences entre les personnes, mais qu’une difficulté relationnelle ou des non-dits, les empêchent de bien coopérer. La facilitation orientée solutions s’avère très efficace ; cela permet d’aboutir à un plan d’actions concret et de fluidifier la relation. Dans mon approche, je fais en sorte de transposer les acquis de ma formation universitaire à la médiation, dans le langage de notre organisation qui est une entreprise industrielle, avec une approche pragmatique des problèmes. On m’a parfois dit que mon côté cadrant aide à « remettre sur les rails ». Pour ma part, je note que ce process déclenche une prise de conscience et remet chacun dans une dynamique positive.
Quel a été l’impact de la crise sanitaire et du distantiel sur votre mission ?
Je me suis adaptée à ce mode de communication. Aujourd’hui, je note finalement que le distanciel correspond à un besoin des collaborateurs. Beaucoup travaillent en open-space. Aussi, il est souvent plus commode de m’appeler de chez soi, durant les journées en télétravail. En entretien individuel, j’ouvre systématiquement ma caméra. Plus de 80% des personnes que j’accompagne en font de même. Si la personne préfère laisser sa caméra éteinte, je m’adapte ; cela aide à établir le contact. Je mène beaucoup d’entretiens individuels à distance aujourd’hui, ce qui est facilitant pour des raisons de charge de travail de chacun, du coût et du manque de temps.
Développez-vous une approche préventive de la facilitation ?
Complètement. La maturité du dispositif de facilitation développé depuis 10 ans chez Renault nous permet aujourd’hui d’agir aussi bien sur le versant curatif que préventif. Le fait d’intervenir en amont permet aux salariés de trouver des solutions à leurs difficultés avant qu’elles ne s’enveniment. En tant que facilitatrice, je contribue à jouer un rôle de « capteur social ». Les irritants perçus dans l’organisation sont remontés à la Direction de l’Ethique afin de réfléchir à des actions en prévention primaire. Chaque année, nous élaborons un tableau de bord par établissement et par activité présenté chaque année à la DRH France. Le bilan est public puisque qu’il est essentiellement quantitatif et fait émerger les irritants de l’année. Il est partagé avec les organisations syndicales, le comité qualité de vie au travail,la Direction de l’éthique. Il est également partagé lors de nos présentations à des nouveaux arrivants, managers…C’est ainsi que la facilitation peut jouer un rôle clé en interne dans la prévention des risques psychosociaux et je suis convaincue que cette vague de fond va aller crescendo dans le monde du travail. »
Propos recueillis par Marie-José Gava